MOTIVATION (ÉTUDES DE)

MOTIVATION (ÉTUDES DE)
MOTIVATION (ÉTUDES DE)

Les premières applications des concepts et des méthodes de la psychologie et de la sociologie empiriques aux problèmes des études de marché eurent lieu vers 1930, mais ne devinrent célèbres que vingt ans plus tard. Entre-temps, elles avaient été baptisées «études de motivation» et présentées comme la clé qui permet d’accéder à l’inconscient des consommateurs. En outre, après la Seconde Guerre mondiale, les effets de la fin des restrictions s’ajoutèrent à ceux de l’accroissement de la productivité pour obliger les industriels à trouver de nouveaux débouchés: les deux tiers des produits nouveaux mis sur le marché aux États-Unis se heurtaient à un échec et l’on put croire qu’il était «plus facile de fabriquer que de vendre».

En réalité, au lieu de produire d’abord pour tenter ensuite, tant bien que mal, de vendre les objets fabriqués, il faut commencer par étudier les désirs et besoins des consommateurs, avant de fabriquer les produits correspondants.

À l’heure actuelle, la réalisation de ce programme ambitieux est limitée moins par les insuffisances du savoir et des instruments disponibles que par les conditions dans lesquelles ce savoir est ou n’est pas recherché, diffusé et utilisé. Trop souvent, les intérêts de ceux qui sont à même de connaître les désirs et besoins du public et de prendre les décisions importantes l’emportent sur ceux des personnes concernées.

1. L’étude des consommateurs

En schématisant, il est possible de distinguer trois manières d’étudier le comportement des consommateurs. Elles ont été découvertes successivement, mais toutes trois coexistent aujourd’hui. Dans l’ensemble, l’évolution s’est effectuée des méthodes les plus subjectives aux plus objectives, des moins coûteuses aux plus coûteuses.

Stade spéculatif

Pour connaître les comportements économiques, on a commencé par raisonner sans se soucier de vérifier systématiquement si les choses se passent en fait comme on les a imaginées. On a ainsi élaboré un grand nombre de systèmes dont la plupart furent employés uniquement par leurs auteurs. L’Homo œconomicus constitue la construction de ce type la plus répandue.

Stade direct

Dans un deuxième temps et par réaction, négligeant les constructions théoriques, on s’est intéressé exclusivement aux faits. Tout document chiffré tendait à être considéré comme scientifique. Aussi a-t-on utilisé presque uniquement le questionnaire: il est, en effet, toujours possible de poser des questions et de compter les réponses. La réalité est alors saisie au niveau de ce que les consommateurs, placés dans une certaine situation d’enquête, disent faire, croire ou souhaiter.

L’examen des réponses ainsi obtenues montre qu’on ne peut toujours se fier à elles. Fréquemment, en effet, les personnes interrogées ne possèdent pas l’information nécessaire pour répondre correctement, se trompent ou trompent délibérément l’enquêteur. La manière dont la question est formulée, la personnalité de l’enquêteur, le cadre dans lequel l’enquête est effectuée contribuent à déterminer les réponses. La question directe ne recueille pas une information préexistante et indépendante de la situation de mesure, mais, en un certain sens, fabrique hic et nunc la réponse qui est ensuite enregistrée.

Cependant, des progrès considérables sont ainsi accomplis: la recherche empirique «sur le terrain» s’est substituée à la seule réflexion «en chambre»; les techniques de sondage sont mises au point.

Stade indirect

Les recherches s’efforcent maintenant d’établir un meilleur équilibre entre les spéculations et les faits. Au cours de ce troisième stade, caractérisé par l’emploi des études de motivation, on se préoccupe beaucoup plus qu’auparavant de la manière dont les données ont été obtenues, de leur validité et de leur signification par rapport à un ensemble de connaissances théoriques. Les réponses des consommateurs ne sont plus acceptées telles quelles, mais interprétées: on tente de dégager ce que les consommateurs font, pensent et désirent par inférence à partir de l’ensemble de l’information dont on dispose.

La nature des différences entre le stade direct et le stade indirect peut être illustrée par l’emploi que les études de motivation font d’un concept issu de la psychanalyse. À diverses reprises, les études de motivation ont mis au jour l’existence, chez certaines ménagères, de réactions négatives à l’égard de produits (du type «vite prêt» ou «nettoie sans frotter») destinés à faciliter leur tâche. Non seulement elles se sentent plus ou moins consciemment coupables de se débarrasser d’une partie de leur travail, peut-être aux dépens de la qualité du résultat, mais encore elles ont l’impression d’être supplantées dans leur rôle domestique et de devenir inutiles. Or, d’une part, ces sentiments n’apparaissent généralement pas en réponse à la question directe: «Pourquoi n’employez-vous pas du café soluble?» ou «... un four à micro-ondes?» D’autre part, l’attitude d’une même femme envers un produit de ce type peut être à la fois favorable et défavorable: elle craint d’être ou de paraître mauvaise ménagère et, simultanément, souhaite avoir moins de travail. La mesure de son attitude au moyen d’une échelle unidimensionnelle, allant de «favorable» à «défavorable», ne saisit donc, au mieux, que la résultante d’un jeu de forces dont les termes et le dynamisme sont perdus. En revanche, les méthodes utilisées par les études de motivation s’efforcent de faire apparaître cette ambivalence et ses composantes.

2. Méthodes et techniques

Contrairement aux recherches fondamentales qui ont fréquemment pour point de départ une hypothèse qu’on cherche à vérifier, les études de motivation partent d’un comportement qu’elles essaient d’expliquer. Pour parvenir à ce résultat, elles tendent à faire flèche de tout bois. Il en résulte une extrême diversité et un grand éclectisme sur le plan des méthodes et techniques employées comme sur celui des concepts et des disciplines auxquels elles font appel.

Si la multiplication des instruments d’obtention et d’analyse est justifiée par la diversité des informations à recueillir (comportements, attitudes, fantasmes plus ou moins conscients), elle l’est également par le souci de valider les résultats. En sciences humaines, il est, en effet, difficile de séparer ce que l’on sait de la façon dont on l’a appris. Trop souvent, alors qu’en principe l’étude d’un même phénomène au moyen de plusieurs méthodes devrait fournir des mesures identiques, on constate que les légères différences de méthode – par exemple, dans la formulation d’une question – se traduisent par des écarts importants dans les résultats obtenus.

Observation, expérimentation et interrogation

Dans une étude de motivation célèbre, James M. Vicary a enregistré, à l’aide de caméras invisibles, les variations du rythme des battements de paupières des clientes d’un supermarché. Ce rythme diminuant de plus de moitié au moment où les acheteuses prennent en main les produits, on en a conclu qu’elles se trouvaient alors dans un état semi-hypnotique.

Plusieurs expériences ont montré qu’à la suite de variations dans l’emballage ou dans le nom de marque d’un produit resté identique, les consommateurs interrogés affirmaient avoir constaté des différences dans les propriétés physiques ou gustatives des produits eux-mêmes. Ainsi, en changeant son emballage ou son nom, on n’avait pas modifié seulement quelque caractéristique extérieure et contingente du produit, mais bien son image, c’est-à-dire, pour le consommateur, le produit lui-même.

Devant le développement actuel du recours à l’expérimentation (cf. S. Banks) et à l’observation directe des comportements ou de leurs traces (examen du contenu des placards ou des poubelles des ménagères, panels de détaillants dont on relève périodiquement les stocks et les factures, etc., cf. E. J. Webb), on tend de plus en plus à réserver l’emploi de l’expression «études de motivation» aux travaux qui comportent l’interrogation des consommateurs à l’aide de méthodes empruntées à la psychologie clinique.

Les dimensions de l’interrogation

Les méthodes d’interrogation étant en nombre illimité, il est commode de classer les différents instruments effectivement utilisés selon quelques caractéristiques fondamentales: dirigé ou non dirigé, direct ou indirect, verbal ou non verbal, intensif ou extensif. Alors que les études de marché et les sondages d’opinion n’utilisent, en général, que des instruments dirigés, directs, verbaux et extensifs, les études de motivation recourent également aux techniques non dirigées, indirectes, non verbales et intensives.

– Le questionnaire impose aux réponses un cadre et un ordre rigides et fixés d’avance. Dans l’interview non dirigée, au contraire, la personne interviewée peut parler librement de tout ce qui lui paraît important par rapport au thème initialement proposé par l’interviewer. Ce dernier, pour influencer le moins possible la personne qu’il écoute, tout en l’incitant à parler, adopte une attitude dite de compréhension et se borne à reformuler les paroles et les sentiments de la personne interviewée en les résumant et, éventuellement, en les clarifiant.

– Indirect veut dire que la signification des questions comme des réponses est plus ou moins cachée. Parmi les instruments indirects d’obtention de l’information, les techniques d’association (associations de mots de C. G. Jung, phrases à compléter) ont pour but de substituer une détermination involontaire et inconsciente au contrôle volontaire conscient des réponses. Les techniques projectives reposent sur le fait qu’un stimulus neutre ou ambigu est perçu par chacun en fonction de ses propres connaissances et préoccupations: la même bouteille sera décrite par les uns «à moitié pleine», par les autres «à moitié vide». En ce qui concerne l’analyse de l’information, les paroles des personnes interviewées sont interprétées, en principe, individu par individu, en tenant compte, notamment, des réactions non verbales (silences, hésitations, rires, mimiques).

– Les dessins et photos possèdent souvent, en tant que stimuli, un pouvoir suggestif plus grand que celui des mots. En outre, une situation qui nécessiterait une longue description verbale peut parfois être exprimée aisément à l’aide de moyens visuels. Par exemple, on utilise couramment, dans les études de motivation, des dessins de personnages en situation (achat, travail ménager, etc.) pourvus d’une bulle dont l’interviewé doit indiquer le contenu. Une variante plus dirigée consiste à faire apparier des personnages et des produits désignés verbalement ou dessinés d’avance sur des cartons.

– Les méthodes intensives, enfin, sont destinées à l’étude approfondie d’un nombre relativement réduit d’individus. Les méthodes extensives, au contraire, permettent de recueillir rapidement des renseignements auprès d’un grand nombre de personnes. Les premières méthodes sont souvent utilisées au cours de la phase initiale d’une étude, en vue de déterminer les variables importantes par rapport au problème étudié et de formuler certaines hypothèses sur leurs relations. Par exemple, on cherchera à connaître et à comprendre toute la gamme des représentations, des attitudes et des réactions possibles à l’égard d’un produit donné, c’est-à-dire à obtenir un échantillon représentatif de l’information pertinent. Les secondes méthodes impliquent, en revanche, la mesure, sur un échantillon représentatif de la population concernée, de la fréquence avec laquelle les diverses images, attitudes ou réactions distinguées au cours de la phase précédente se rencontrent en pratique.

3. Les résultats et leur utilisation

Du point de vue scientifique, les études de motivation présentent l’avantage de posséder une variable dépendante spécifique, directement observable et naturellement quantifiée. Le plus souvent, il s’agit de l’achat, mais des études de motivation d’un grand nombre de comportements ont été ou pourraient être effectuées: autres décisions d’ordre économique des particuliers comme des industriels (investissements, choix d’une profession ou d’une production), actes politiques (vote, inscription à un parti, militantisme) et démographiques (mariage, fécondité, suicide).

L’intérêt d’une variable dépendante spécifique est double: d’une part, les résultats obtenus à l’aide des différentes méthodes peuvent être comparés entre eux; la validation mutuelle des méthodes est ainsi possible; d’autre part, l’application des conclusions de l’étude à la résolution d’un problème pratique permet la validation empirique à la fois du savoir et des méthodes: par exemple, le nouveau produit qui se vend ou le slogan qui fait vendre confirme, par son succès, la qualité de l’étude à partir de laquelle il a été conçu tout comme une réussite technique sanctionne l’exactitude des connaissances scientifiques sur lesquelles elle repose.

Le monde des objets

Les études de motivation ont fourni des résultats curieux pour le profane et précieux pour les fabricants: les hommes fument le cigare pour prouver leur virilité, ils jugent l’accélération d’une voiture par la résistance qu’offre au pied le ressort de la pédale et choisissent un modèle en fonction du bruit que fait la portière en se refermant!

Les études de motivation ont aussi montré qu’on achète des symboles plus que des objets: non des oranges mais de la santé, non un produit de beauté mais de l’espoir, non un moyen de transport mais du «standing». À côté des produits prestigieux, dont la consommation tend à être sur-déclarée dans les enquêtes, il est des produits «honteux» (tabac, boissons alcoolisées, café soluble) dont la consommation est sous-déclarée. En pratique, les significations d’un même produit sont généralement si nombreuses que le problème est moins de les découvrir que de les agencer et de les hiérarchiser entre elles, compte tenu de leur importance.

L’image de marque est faite de toutes les idées, le plus souvent confuses et implicites, entretenues au sujet d’une marque, de ses utilisateurs, etc. Selon H. Henry, c’est «peut-être le concept le plus important qui se soit dégagé de toute l’histoire de la publicité ». Pour le psychologue, ce n’est qu’un nouveau nom donné à une banalité: nous nous comportons non d’après la réalité extérieure, dont nous n’avons qu’une connaissance très imparfaite, mais d’après la façon dont nous percevons cette réalité, d’après des «images dans nos têtes» (W. Lippmann).

Après avoir effectué des centaines d’études, E. Dichter a publié un dictionnaire des significations psychosociologiques des objets. Et, s’inspirant en partie, semble-t-il, des études de motivation, des sémiologues ont analysé le monde des objets et celui des messages publicitaires en tant que systèmes de signes (cf. R. Barthes, J. Baudrillard).

Information et pouvoir

Si la fécondité théorique des études de motivation est certaine, les conséquences pratiques de leur emploi semblent plus contestables. En ce qui concerne, d’abord, les entreprises qui y ont recours, elles paraissent logées à la même enseigne que les autres catégories de consommateurs: faute de la formation et de l’information nécessaires, elles ne peuvent juger de la qualité réelle du produit et se trouvent trompées ou déçues plus souvent qu’elles ne le voudraient. Encore faudrait-il savoir ce qu’elles espèrent acquérir quand elles commandent une étude de motivation: de l’information, du prestige ou quelque procédé magique leur permettant d’imposer leur produit? Dans l’ensemble, compte tenu de la qualité d’une grande partie des études effectuées et de l’incertitude dans laquelle se trouvent habituellement ceux qui prennent les décisions commerciales, la rentabilité des études de motivation pour les entreprises ne paraît pas constituer un problème majeur.

En revanche, sont en cause les conséquences pour le public de l’emploi des études de motivation. Il y a d’abord l’intrusion plus ou moins clandestine dans la vie privée que permettent certaines méthodes d’observation (caméras invisibles, par exemple) et d’interrogation (techniques indirectes). La sauvegarde essentielle est ici, au minimum, une garantie rigoureuse de l’anonymat. Mais les principales critiques doivent être adressées à l’usage qui est fait des résultats des études. Si la connaissance des désirs et besoins du public paraît nécessaire dans une économie capitaliste, il n’en reste pas moins que les cas où cette connaissance est utilisée pour tenter de donner effectivement aux gens ce qu’ils veulent sont beaucoup moins nombreux que ceux où cette connaissance est utilisée pour tenter de faire croire aux consommateurs ou aux électeurs que le produit, le service ou l’homme qu’on leur propose pourra satisfaire leurs aspirations avouées et secrètes. La déontologie et la responsabilité morale et légale du chercheur ne suffisent pas ici. Il faut d’abord que la connaissance des désirs et besoins du public ne reste pas la propriété exclusive d’intérêts privés; ensuite, qu’une information objective des consommateurs sur les produits, comme des électeurs sur les partis, les programmes et les hommes politiques, vienne équilibrer le pouvoir que les études de motivation confèrent actuellement à leurs commanditaires. Ainsi se rapprocherait-on à la fois de la «transparence du marché», chère aux théoriciens de l’économie capitaliste, et d’une démocratie véritable.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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